Hélène Cixous/« Mes êtres d’incandescence »
Pour Adeline
« Ça commence par le secret gardé, par la séparation silencieuse du reste du monde. On s’aime. On passe dans la clandestinité. On quitte le monde en plein jour. »
Hélène Cixous, L’Amour du loup, chapitre I, « Sacrifices », page 19.
En feuilletant mes carnets, je retrouve cette prise de notes (un extrait de l'ouvrage de Cixous) qui date du premier jour des vacances de février 2004. Je lis ceci :
« Il y avait eu les bombardements d’Oran, les bombardements de guerre, avec bombes, descentes aux abris, sirènes d’alerte, l’espace devient extrêmement vertical, la vie est une corde tendue entre deux non-extrémités entre en haut et sous la terre, entre horreur et jubilation […] Il y a eu le bombardement de Salszbourg, un autre encore. Un autre encore. Une succession de bombardements […]
Nous sommes nés pour être bombardés et pour voir soudain les lieux familiers et les choses ordinaires devenus nus et spectaculaires. Alors le dehors gagne le dedans et le dedans s’étale impudiquement sans qu’on y puisse rien. C’est comme ce phénomène mathématique appelé Bouteilles de Klein une chose inconcevable et pourtant qui existe, un volume dont le dehors est dedans […]
Dès qu’on commence à raconter, il y a comme un apaisement des Mânes. Mais pendant quarante ans il y a impossibilité de tout récit. Quarante ans : toujours quarante ans de désert de mutisme. L’évanouissement dure quarante ans. Ensuite la mémoire reprend. Pendant l’évanouissement reste un monde, une population non racontée, bien cachée, tapie dans les replis, dans l’escalier, des larves de jeunes condamnés à mort, qui reviennent sitôt morts qui nous assiègent et que nous assiégeons.
La Fin n’est pas la fin. Pas plus que le commencement ne commence. »
Extrait de Hélène Cixous, La Mort du loup et autres remords, II « Le livre personnage du livre », « La Chose », éditions Galilée, 2003, pp. 115-116.
| Voir aussi : - (sur Terres de femmes) un article sur La Mort du loup : « Petites érinyes de la conscience ». |


Raconter pour apaiser les Mânes. Oui elle a raison.
Mais les Mânes sont cruelles. Cet apaisement qu'elles donnent, elles le font payer si cher!
Raconter pour oublier ou pour faire revivre cette douleur, la preuve qu'on est vivant.
La violence des souvenirs se dissout dans les mots, mais pas dans la mémoire. Reste alors la magie du regard porté sur ce qui n'est plus. Le regard d'avant. Celui de tous les espoirs, de tous les possibles.
Les mots qui disent cet avant sont aussi doux que le nectar des dieux, ils sont le poison de l'avenir.
Masochisme de la Mémoire. Mais c'est aussi le seul moyen de ne pas voir le trou béant et la putréfaction de tout ce qui fut un jour.
Les souvenirs ravivés comme un soleil qui toujours se lève, dont rien ne peut arrêter la course inexorable.
Merci infiniment pour ce beau texte. Merci pour tout.
Rédigé par: Hecate | le 06 février 2005 à 15:15