Béatrice Bonhomme
Murmurations des oiseaux
Lecture de Philippe Lekeuche
Par cette longue et vivante méditation parcourant son récent livre, Murmurations des oiseaux, Béatrice Bonhomme nous rend sensible « la chair du monde », ou plutôt d’un monde dans lequel les mots que parlent les humains, les animaux, les arbres, les paysages résonnent au sein d’une symbiose où (sur)vit toujours l’enfant qui est en nous. L’étonnement, l’émerveillement, la grande bonté qui baignent la Nature, son grand corps pluriel, y sont pour nous ravivés :
J’appelle murmuration
Cet envol orienté des oiseaux
Vers un ballet d’aurores et de plumes
Un frémissement multiple
Un essaim de fleurs
Un arbre charrué d’oiseaux
J’appelle murmuration
Cette danse que l’enfant donne au monde
Avec son corps de lumière.
Et même, il arrive que son poème nous dise combien nos mots humains « traînent la patte », si je puis dire, à côté du chant universel qui nous englobe, tant nos dires ne sont que les mots gauches et maladroits/De nos pattes de mouche existentielles. Ces mots qui, pourtant, privilège humain sans doute, savent nos blessures, sont frappés des failles, des fractures, des séparations, ces (…) quelques mots/Mal joints (…) laissant passer (…) / Les liquides vivants / Des plaies infectées de notre monde. Car ce monde-ci où nous sommes, monde déchiqueté dont les bords sont de plaies, nos mots et nos poèmes arrivent mal à le rapiécer, à le réparer :
La couture des bords d’un monde
Suturant plaies et incisions
Nous rassemblons par fil et aiguille
Les pièces de drap d’un monde déchiqueté
Comme les ravaudeuses raccommodant
Leurs vieilles loques.
Et pourtant … Certains de ces poèmes, de ces Murmurations des oiseaux, nous viennent comme des moments de grâce salvatrice, à l’unisson de la beauté, de la bonté, d’une vérité innocente reflétée par les souvenirs d’enfance de la petite fille de sept ans que fut jadis la poète et qui réapparaît dans l’un des poèmes du livre, toujours bien vivante.
Cela, malgré la conscience des ravages, des restes d’un monde perdu, abîmé, car, avec pudeur, il y a chez Béatrice Bonhomme un sens tempéré du tragique, discret mais bien présent, je songe à certains des poèmes qui m’ont fort ému, concerné personnellement, au plus intime. La poésie, qui a conscience de la perte, espère encore et toujours en regardant vers le ciel, comme Hölderlin nous le dit dans son lumineux poème, En bleu adorable.
Il y en Béatrice Bonhomme une femme-poète mais aussi une femme-peintre, certains de ses poèmes rayonnant comme des peintures, je pense notamment à ce fragment presque japonais dans sa délicatesse, à ce merveilleux passage :
Montagne, légèreté de plume
Duvet de gris et de blanc
Dans l’envergure de son envol
Porté par la neige.
Je parlais plus haut, concernant ce livre, de la chair du monde qu’il nous rendait si sensible (l’expression est de Maurice Merleau-Ponty), et je pense que, dans son ensemble, il nous offre une source possible de renouvellement de notre présence au monde, ce monde hyper-technicisé, étouffant sous les calculs de tous ordres, où nous perdons peu à peu, sans nous en apercevoir, la capacité d’admirer avec amour un petit moineau, les oiseaux que les poèmes chantent, les arbres qui nous parlent, d’un murmure secret. Hélas, nous ne savons plus ni voir, ni entendre, enserrés dans les vanités de ce monde fabriqué ! Les Murmurations des oiseaux de Béatrice Bonhomme nous disent que le monde véritable est toujours là, le monde vivant, celui de la nature naturante. Il faut la poésie, le langage si incarné d’une femme-poète, pour nous reconduire à l’essence de la vie. Grâce en soit rendue à Béatrice Bonhomme.
♦ Voir aussi sur → TdF