<<Poésie d'un jour
Proposition de Jean-Paul Bota
Extrait 1
Projet éditorial
Aux habitants du village qui ont assisté,
dubitatifs, à son installation à Saint-Benoît-
du-Sault, l’éditeur Djamel Meskache
a assuré vouloir prendre sa place comme
« artisan des nuages » aux côtés du boulanger,
du charpentier et des autres corps de métier.
Une occupation qui consiste principalement
à se faire le premier lecteur des poètes,
puis le passeur de leurs écrits. Autrement dit,
à réveiller ses clients au son du « tarabouc »,
du tambour du dissensus, ou à les transporter
par le chant jusqu’au « tarab », l’extase des
Soufis. Puisque, dans un cas comme dans
l’autre, il s’agit bien « d’atteindre quelque
chose qui nous dépasse ».
Surmenage d’émotions
Une semaine ! C’est le temps dont je disposais
désormais pour boucler le compte-rendu du
colloque Tarabuste — une synthèse que je n’avais même pas commencée. A cette urgence s’ajoutait une autre, celle de l’arrêté des comptes d’une grande banque internationale qui emploie plus de dix mille salariés sur cinq continents1.
Bien que formulée avec la délicatesse habituelle
de Tatiana Lévy, qui dirige la revue Triages,
la demande de compte-rendu me replongeait
soudain quatre semaines en arrière, dans
l’embarras terrible qui avait été le mien à la clôture du colloque. Bien loin de l’excitation première avec laquelle j’avais claironné mon départ pour la manifestation. Au point que ma femme, me voyant, sur le palier, si enthousiaste, si vibrant de poésie, avait conclu :
— Avec toi, tout est toujours dans l’excès !
Extrait 2
SUR LE THEATRE DES « OPÉRATIONS »
Parfois les mots sont francs-tireurs.
Ils surgissent à la surprise
de celui qui les profère.
A l’exemple du banquier,
longeant les quais le soir :
tracassé par un crédit démentiel
que les règles déconseillent
il s’entend pester : qu’irai-je faire
dans cette galère ?
Image suggérée
par une péniche qui tangue
sur l’inspiration noire,
les hublots allumés.
Les codes de bonne conduite
des établissements financiers
excluent les crédits fumeux
ou nuisibles à leur image.
Toutefois, ces politiques
prêtent à interprétations.
Poèmes d’un capitalisme
qui se réforme,
elles sont truffées de MÉTAPHORES
dont certaines pour le moins traitresses…
Aristote dit de la métaphore
qu’elle est un TRANSPORT :
l’utilisation d’un mot pour un autre,
un parlé par détour,
le figuré préféré au propre.
Là où blanchiment de valeurs et métaphore
vont de pair,
la croisière lyrique cache volontiers
le vaisseau pirate.
Déjà les Grecs se méfiaient de Zeugme
et Catachrèse, deux ports douteux
de la parabole. L’un signifie
« détournement de sens »,
l’autre, « omission hasardeuse ».
Embarquées dans les politiques vertueuses
des banques,
ces figures de styles
déguisent leurs appétits.
Dans le militaire par exemple,
« Secteur en plein boom
– mais sensible,
le financement des exportations de canons,
lit-on à moitié rassuré,
fera l’objet d’une vigilance renforcée ».
On se trouve déjà en eaux troubles
avant même d’avoir quitté le quai.
Dans l’arsenal des métaphores, il en est une, pourtant, qui est fraternelle : la métonymie.
De mots qui cheminent souvent
côte à côte dans les phrases,
elle fait des égaux pour le sens.
C’est à la métonymie que l’on doit.
de « boire un verre » par soif de liquide.
Une prouesse qui suppose quand même
de soigner ses fréquentations
quand on est senior banker.
Car au pot des ministères,
on vous fait avaler, l’air de rien,
un sous-marin.
Le petit four qui ne sent pas bon
dans le fonds de commerce,
la tôle maudite dont la remontée furtive
précipitera le bouillon.
En résumé la métaphore est brigande : elle enlève un mot,
en pousse un autre, prétend que tout se vaut,
remplace la pomme du voisin
par « fruit » sur un écriteau.
Théophile Barbu est le fils de la peintre Louise Barbu et du scientifique Emanoïl Barbu. Ses recueils, tous publiés chez Tarabuste, relèvent le défi de ramener sur le territoire de la poésie les sujets qui s’en éloignent le plus a priori : la science économique, le 2ème principe de la thermodynamique, la Françafrique. Son dernier recueil, Au colloque Tarabuste avec Watson, raconte, à l’heure de l’intelligence artificielle, le dialogue entre la poésie et un agent conversationnel bancaire.
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