Diane Régimbald / Elle voudrait l’ailleurs encore
Éditions du Noroît
Lecture d’Angèle Paoli
« aux filles, aux mères,
à Denise Leduc, ma mère »
De Paris à Bastia, elle traverse l’azur avec Diane Régimbald. De la poète québécoise à elle-même s’effacent la frontière mère-fille-femme... laquelle engendre l’autre, la figure amniotique mère-sœur. Pour donner vie à un nouveau recueil Elle voudrait l’ailleurs encore.
Si les mots du poème de Diane Régimbald tissent les liens, il les étire aussi et les éloigne pour gagner en liberté. Affranchir franchir s’affranchir puis retrouver et renouer, d’un poème l’autre, l’histoire d’un amour sans faille, unique et doux, doux et puissant, en dépit des blessures des doutes des rebuffades. De l’inconnaissance. Et me voilà à mon tour interpellée hors de mes propres formes par Diane qui s’éloigne, son sourire chaleureux, son amitié toujours présente, vers mes propres interrogations. Celles de mère - de fille - de mère, qui sommeillent en moi. Perdurent derrière les silences, les gestes ébauchés, les fêlures de l’enfance, la douleur de la perte. Parler de tout cela, couvrir de mots le mystère de cette relation, que toutes nous avons connue, boutées hors du « ventre intérieur » de la mère, et à notre tour, pour beaucoup, devenir « ventre intérieur » de l’enfant, tel est le propos de la poète. Que dire sinon que ce compagnonnage aérien avec Diane m’a portée en profondeur, témoignage précieux et émouvant de son propre cheminement à travers les méandres tracés par la vie. Mais comment mieux que la poète retranscrire et retransposer ce qui fut l’aventure poétique et créatrice de Diane, au-delà de toute autre ?
Tout dans ce recueil est beau et fort, tout est pensé et choisi avec conviction tandis que les peintures de Sophie Lanctôt accompagnent dans la douceur des couleurs et le subtil effacement des formes, les poèmes de Diane Régimbald. Visages et silhouettes, pareils à des estompes, corps à peine ébauchés pour la marche, mains tenues de l’une à l’autre. Elle la mère elle la fille. L’une est l’autre chacune à son tour. Continuité malgré la séparation des vies faites pour prolonger tout en défaisant, corps qui ploient dans le vide, une fois « le ventre intérieur » abandonné. Fille/Mère, tant de mots dans tant de langues différentes pour dire la relation originelle, indissociable, essentielle. Deux pages introductives couvertes de hiéroglyphes empruntés à toutes les langues du monde précèdent, comme un chant d’ouverture, annoncent l’entrée dans le poème. Quel est cet ailleurs, auquel chacune aspire, vers lequel chacune, qu’elle soit mère ou fille, est appelée ? Comment le définir ?
« Écris-moi. Sois ma mère encore un temps. » semble supplier Nicole Brossard dans l’exergue qui précède « Variations ». « We don’t mind where we go /as long as/it is away », poursuit Rachel Mccrum dans celle qui précède « Fille des ailleurs ». La route est longue, sans aucun doute et l’esquisse d’une réponse demande du temps. D’autres exergues jalonnent le cheminement d’écriture, qui guident Diane Régimbald d’une section à l’autre de cet « ailleurs ». Ainsi croise-t-on Anne-Marie Albiach avec ces mots à la fois évidents et mystérieux qui précèdent « Fille de mère » : « Une incision tente de défaire le corps ». Ou encore cette affirmation d’Anne Dufourmantelle- « Toute mère est sauvage » - pour ouvrir « Nudité de l’absence ». Il y aurait tout une réflexion à mener sur le choix de ces autres, les autres de Diane, déposées là comme autant de perles qui mènent vers cet ailleurs désiré - et atteint ?
Je m’arrête un instant sur celle-ci, d’Olivia Tapiero, qui préside à l’ouverture de « De mère encore » : « S’il n’y a plus de mères, le fil est brisé ». Pourquoi cette évidence me fascine-t-elle ? Parce que la poète dit avoir par deux fois brisé le fil ; par esprit de révolte, par désir de résistance. Par deux fois aussi elle l’a recousu en donnant la vie à un fils puis à une fille. Cela s’écrit dans des poèmes brefs, sans emphase sans pathos. Et pourtant cela bouleverse, comme des évidences tenues sous le boisseau et toujours tues :
« j’ai porté le vent osseux
chairs de pousses
organes fibreux
j’ai nourri la genèse
l’ai aussi avortée deux fois
connaître la douleur
de faire mourir
c’était juste résistance
carré de lumière
dans l’ombre »
poèmes suivis de cet aveu qui me poursuit et m’ébranle :
« faire disparaître
cela m’arrive »
Ainsi lire Diane Régimbald, c’est suivre une femme complète dans le sens de ses expériences, de ses évolutions :
« elle c’est moi la fille qui marche défaite de ses attaches qui
erre au mouvement de sa liberté pense soupèse et mesure ce
qui peut advenir »
ou encore :
« elle c’est moi
la fille du dehors
qui naît affranchie… »
Elle, libre de ses errances et de son devenir :
« je me construis fille
avec mes armes de protection
mes armes de désarmée »
Il fallait d’abord se dessaisir de la mère pour pouvoir devenir mère et se reconstruire comme mère :
« de fille dessaisie
je suis devenue mère
sans passage
fracturée
en espoir d’une recomposition »
Les poèmes sont brefs, souvent construits autour d’une expression reprise, répétée. Mais tout commence sur un vide, une absence, un effacement :
« je commence sans »
Mais le recueil se clôt sur cette affirmation :
« et la mère deviendra
ma sœur »
Preuve qu’une évolution intérieure s’est opérée. Un passage vivifiant de la verticalité à l’horizontalité.
Paradoxalement, la naissance (l’autre naissance) de la fille survient à la mort de la mère (à Denise Leduc, ma mère), comme si le devenir de l’une s’ancrait dans l’achèvement de l’autre. Elle survient aussi lorsque la fille devient mère à son tour. Ainsi se constitue la chaîne faite de variations » de l’une à l’autre, comme l’écrit Olivia Tapiero. La connaissance et la compréhension de la mère surgit à partir de la maternité de la fille :
« je ne savais rien d’elle
outre les naissances données
il m’a fallu être mère
à mon tour
pour connaître le vide du sang
la crainte »
Bien d’autres pensées jalonnent le parcours initiatique qui passe de la mère à la fille, de la fille à la mère, bien d’autres images traversent son évolution. Imitation volonté superpositions des amours, naissance de l’amour et mises au monde. Combien de naissances avant de comprendre, d’être soi, à la fois libérée et heureuse de tous les franchissements de toutes les étapes accomplies ?
Pourtant, à regarder certaines photos et à considérer le visage de la mère, quelque chose d’une ombre passe derrière le « vaste sourire radieux ». Une ombre fugace sous la lumière du regard, la présence discrète d’une crainte à peine ébauchée, quelque chose comme une attente, la présence de l’inabouti dans ce portrait que Diane, l’aînée de ses enfants donne d’elle et interroge :
« Cette photo d’elle
avec ses cinq enfants
vingt-cinq ans manteau
vaste sourire radieux les mains
plein les bras.
Elle ne rêve pas. On imagine
dans son regard lumineux
un espoir, mais quelle inquiétude
traverse sa bouche désorientée ? »
et quelques pages plus loin :
« Elle voudrait l’ailleurs encore.
Cherche du regard une chose
insensée qui la bercerait. »
Diane la fille, devenue mère à son tour, a-t-elle trouvé cet ailleurs ? Il semble bien. Il est celui de la poésie. Cet « ailleurs » est sa voie / sa voix. En écrivant sur le lien qui la relie à sa mère, Diane Régimbald lui fait don de cet ailleurs. Elle fait sienne la parole des poètes. Ainsi des mots de Sara Danièle Michaud, à qui elle confie l’ouverture de « Comme lieu(x) » :
« Il a fallu de la cicatrice pour faire une mère,
une mère pour faire la matière de l’écriture. »
Il faut lire Diane Régimbald – Elle voudrait l’ailleurs encore - recueil dédié
« aux filles, aux mères,
à Denise Leduc, ma mère »
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Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli
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