10 janvier 2005
Hiérophanie du sexe de la femme
« Il se disait : mon amour échappe au temps. Il regardait les doigts de la femme occupés pour rien à leur œuvre de jouissance et de plénitude. Et c’était tellement beau que, éprouvant que son désir n’en finissait pas de monter et de se tendre, il redoutait de bousculer l’ordre du plaisir et appréhendait la violence d’effraction dont il était porteur. La forme s’étendait, haussée et creusée à la fois. Elle atteignait à la perfection de son relief, déployée dans le vif, épaisse comme une feuille d’acanthe, lobée comme la fleur de l’iris : signature héraldique du corps d’amante. Ce blason de féminité occupait tout l’horizon du regard. Il y avait eu, autrefois, chez l’enfant et l’adolescent, à l’orient de l’âme liturgique, l’ostensoir, la veilleuse du tabernacle, le crucifix, l’image de la Vierge des sept douleurs – tout cet ensemble amalgamé en une seule présence de réalité sacrale qui remplissait espace et temps. Et maintenant, c’était le sexe d’une femme, c’était une femme par son sexe, qui tenait le lieu de la totalité. La puissance d’adoration […] n’avait pas changé. […] Elle s’était enrichie d’avoir accepté le sensible dans sa limitation, dans sa corruptibilité, dans sa radicale humilité de l’être, dans sa vitalité sans glose. L’inscription du sexe de la femme – de l’amante au-dessus de toutes les femmes – dans le champ ouvert, tendu, fervent, de la conscience de soi et du monde que le jeune homme incarnait alors, se faisait dans les traces à peine désertées de ce qui avait été l’inscription du divin. Et de la même façon que la foi avait généré une esthétique, celle du plain-chant notamment, […] l’amour pour une femme, dans la force soutenue du désir et sous le signe hiérophanique du sexe, créait chez le jeune homme les conditions d’une expression poétique et plastique de son existence. »
Claude Louis-Combet, Le Chemin des vanités d’Henri Maccheroni, José Corti, 2000, pages 33-34.
Voir aussi :
- Celle par qui la ténèbre arrive.
- Mala Lucina;
- Noyau central
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Rédigé le 10 janvier 2005 à 17:49 | Lien permanent | Commentaires (0) | TrackBack
30 décembre 2004
« Approchés vous donc, mon Peton »
« Approchés vous donc, mon Peton, car vous estes mieux pres que loing. Et puisque vous estes plus propre à satisfaire au goust qu'à l'ouïe, recherchons d'entre un nombre infini de baisers diversifiés, lequel sera le plus savoureux pour le continuer.
O ! qu'ils sont doux et tout maintenant assaisonnés pour mon goust ! Cela me ravit, et n'y a sur moy petite partie qui n'y participe, et où ne furette et n'arrive quelque estincelle de volupté. Mais il en faut mourir; j'en suis tout esmue et en rougis jusque dans les cheveux.
O ! vous excedés vostre commission, et quelqu'un s'en apercevra de cette porte. Eh bien! vous voilà enfin dans vostre element où vous paroissés plus qu'en chaire. Ha! j'en suis hors daleine et ne m'en puis ravoir; et me faut, n'en deplaise à la parole, à la fin advouer que, pour si beau que soit le discours, cet ebatement le surpasse; et peut on bien dire, sans se tromper: rien de si doux, s'il n'estoit si court. »
Marguerite de Valois, La Ruelle mal assortie, Sulliver, 2000, p. 34.
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Rédigé le 30 décembre 2004 à 20:20 | Lien permanent | Commentaires (0)
26 décembre 2004
Pablo Neruda/Femme-paysage
L’insecte
« De tes hanches à tes pieds
Je veux faire un long voyage.
Moi, plus petit qu’un insecte.
Je vais parmi ces collines,
elles sont couleur d’avoine
avec des traces légères
que je suis seul à connaître,
des centimètres roussis,
de blafardes perspectives
Là se dresse une montagne.
Jamais je n’en sortirai.
Ô quelle mousse géante !
Et un cratère, une rose
de feu mouillé de rosée !
Par tes jambes je descends
en filant une spirale
ou dormant dans le voyage
et j’arrive à tes genoux,
à leur ronde dureté
pareille aux âpres sommets
d’un continent de clarté
Puis je glisse vers tes pieds
Et vers les huit ouvertures
de tes doigts, fuseaux pointus,
tes doigts lents, péninsulaires,
et je tombe de leur haut
dans le vide du drap blanc
où je cherche, insecte aveugle
et affamé ton contour
de brûlante poterie ! »
El insecto
« De tus caderas a tus pies
quiero hacer un largo viaje.
Soy más pequeño que un insecto.
Voy por estas colinas,
son de color de avena,
tienen delgadas huellas
que sólo yo conozco,
centímetros quemados,
pálidas perspectivas.
Aquí hay una montaña.
No saldré nunca de ella.
Oh qué musgo gigante!
Y un cráter, una rosa
de fuego humedecido!
Por tus piernas desciendo
hilando una espiral
o durmiendo en el viaje
y llego a tus rodillas
de redonda dureza
como a las cimas duras
de un claro continente.
Hacia tus pies resbalo,
a las ochos aberturas
de tus dedos agudos,
lentos, peninsulares,
y de ellos al vacío
de la sábana blanca
caigo, buscando ciego
y hambriento tu contorno
de vasija quemante! »
Pablo Neruda, « L’insecte », Le désir, Les Vers du capitaine, Poésie/Gallimard, 1998, p. 180.
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Rédigé le 26 décembre 2004 à 11:33 | Lien permanent | Commentaires (3)
Alain Duault/Le dos
« Tout s'y lit l'or bleu du désir l'eau qui dort sous
Le sable des caresses attendues le frisson du réveil
Comme une vague ramène le matin sur la peau
On voudrait s'y étendre y mourir à son tour
Et la fine rainure qu'on suit avec le pouce
De la nuque aux reins comme un poème vertébré
Partage l'est du sommeil et l'ouest des plaisirs
Quand il est l'heure de lire le menu de la nuit avec
Les doigts »
Alain Duault, Nudités, poèmes, Gallimard, 2004, p. 35.

Plage d'Albu
« Tant qu'il existera des fragments de beauté,
on pourra encore comprendre quelque chose
au monde. »
Guido Ceronetti
(in Alain Duault, Nudités, Gallimard).
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Rédigé le 26 décembre 2004 à 00:07 | Lien permanent | Commentaires (2)
14 décembre 2004
Claude Louis-Combet/Mala Lucina
Qui, mieux que Claude Louis-Combet, a cette audace… et ce talent, parmi les écrivains contemporains, de célébrer aussi divinement les blasons du corps féminin ? Qui, mieux que lui, sait décrire tout le subtil du sexe de la femme, avec pareille perfection du détail, pareille profusion formelle, pareille délicatesse de l’évocation ? Claude Louis-Combet sait ce que « co-naître » la femme veut dire. Naître avec elle ! De l’intérieur. A chaque célébration. Re-naître !
C’est aimer la femme avec la ferveur d’un officiant que de l’honorer, comme il le fait, avec cette écriture inimitable et absolue. Comme dans un rituel liturgique dont il est le seul à détenir le sens caché. L’essence ! Rituel des mots et de la langue. Chaque fois identique. Que chaque récit renouvelle. Ainsi Terpsichore, écho de la jeune fille Oô. La jeune fille Oô, elle-même écho de Léda. La Léda du Miroir de Léda. Celle du récit final qui compose le recueil écrit en 1971. Par quels mystérieux enlacements, tressages, maillages de textes et de récits, par quel miracle cet homme aux yeux mi-clos, à mi-chemin de son enclos intérieur et des femmes mythiques qui l’habitent, et de celles, vivantes, qui l’entourent, parvient-il à fouiller et ciseler la dentelle et les circonvolutions grenues des cavités étranges de ces pythonisses, de leurs méandres et de leurs secrets enfiévrés, à en exprimer aussi les sécrétions vitales ? A en exsuder la florale beauté.
Avec une solennité toute de finesse dans le doigté, toute de talent sensoriel, Claude Louis-Combet conduit inlassablement, depuis ses origines, une lecture initiatique des profondeurs. Dans les replis et les béances de la chair féminine. Jusques au cœur des forces à l’œuvre dans le plaisir charnel, dans leur montée tellurique. Tout comme dans les premières saccades de l’enfantement, annonciatrices de douleurs plus fulgurantes. Ainsi se renouvelle sans cesse, savamment et patiemment, en vagues successives d’une inépuisable beauté, l’offrande que consacre l’officiant à Oô et à Léda. À « Terpsichore aux doigts de rose » et à « Flora la belle Romaine ». Pour l’auteur de Terpsichore et autres riveraines, grecque ou romaine, grecque ou languedocienne, chacune de ces belles est l’archétype de la femme.
Mais le grand prêtre de cette écriture foisonnante de sève et de vie n’oublie jamais longtemps qu’il existe aussi quelque part, masquée par la cohorte de ces troublantes beautés, une maléfique « accoucheuse », une Mala Lucina qui préside au « Sacrement de Folie ».
Claude Louis-Combet, Terpsichore et autres riveraines, éd. Fata Morgana, 2003.
Claude Louis-Combet
©Chez José Corti
EXTRAIT
« Au début, tout juste extraite de sa gangue tellurienne, écartelée, offerte, gonflée de sève, avec la douceur insolite d’un nénuphar des sables, Terpsichore, toute soumise à son rêve de femme en train de naître, n’est rien, en apparence, que son propre creux de pétales repliés, dépliés – ornière de chair, fente première, inépuisablement onctueuse, occupée seulement de son désir d’éclosion.
Ainsi le dieu l’a-t-il conçue, dans sa fantaisie, d’un seul contour de trait qui serait à la fois le sexe et l’œil, la face sombre tournée vers le dedans, la face claire ouverte vers le dehors : elle ne peut contempler les formes du jour sans les introduire à sa nuit profonde. »
(pp. 15-16)
Voir aussi :
- Celle par qui la ténèbre arrive.
- Hiérophanie du sexe de la femme.
- Isula, Insula..
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Texte©angelepaoli
Rédigé le 14 décembre 2004 à 00:41 | Lien permanent | Commentaires (4)


