18 janvier 2005
Me voici restitué[e] à ma rive natale…
(Note personnelle d'Angèle : je dédie tout particulièrement ce poème à Joëlle G.-T., une de mes lectrices les plus fidèles. J'écoute actuellement l'Andante sostenuto de la Sonate pour piano en si bémol, D.960, de Schubert, interprétée par Alfred Brendel)
« …Comme celui qui se dévêt à la vue de la mer, comme celui qui s’est levé pour honorer la première brise de terre […]
Les mains plus nues qu’à ma naissance et la lèvre plus libre, l’oreille à ces coraux où gît la plainte d’un autre âge,
Me voici restitué à ma rive natale… Il n’est d’histoire que de l’âme, il n’est d’aisance que de l’âme.
Avec l’achaine, l’anophèle, avec les chaumes et les sables, avec les choses les plus frêles, avec les choses les plus vaines, la simple chose, la simple chose d’être là, dans l’écoulement du jour…
Sur des squelettes d’oiseaux nains s’en va l’enfance de ce jour, en vêtement des îles, et plus légère que l’enfance sur ses os creux de mouette, de guifette, la brise enchante les eaux filles en vêtement d’écailles pour les îles… »
Saint-John Perse, Exil [1941], in Éloges, suivi de La Gloire des Rois, Anabase, Exil, Gallimard, collection Poésie, 1960, p. 160.
Pour en savoir plus sur Saint-John Perse, se reporter au site « Saint-John Perse, le poète aux masques », où il est possible d’écouter de nombreux extraits d’archives sonores, dont de longs extraits du Discours de Stockholm.
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Rédigé par angèlepaoli le 18 janvier 2005 à 20:44 dans Poésie insulaire (anthologie), Ruelles (carrughji et éphéméride littéraires), Voix et chants (extraits musicaux et archives sonores) | Lien permanent | Commentaires (1) | TrackBack
03 janvier 2005
Parolle à pezzi
Ce matin, en consultant le site corse d’InterRomania, lié au Centre culturel de l’Université de Corte [Centru culturale Università di Corsica] (Scriviture intricciate, InterTestu, InterIsule : « Un viaghju in puesia da un’isula à l’altre », un voyage en poésie d’une île à l’autre), je me suis longuement attardée sur un poème de Flavia Carlotti. Un poème qui m’émeut, touche mes fibres profondes d’insulaire. Je donne ici le texte original en corse (et sa traduction) :
Parolle à pezzi
Stu paese
In mare ùn finisce
Ne cunnoscu
Chì l’anu in corpu
Ferita ch’ùn si sarra
Frizzura accesa
Chì tuttu u sale di l’acqua
Ùn pò guarrisce.
Daretu à u vetru
U vetru di u distinu
Ci semu
Cù a nostra vita proibita
È fighjulemu
Ciò ch’è no’ puriamu esse
S’ellu si sciappava stu vetru
Da e nostre mane
À noi rese.
U to pane
Sè andatu à manghjallu in altrò
Pane sudatu
In lochi stragneri
Ma cumu hè ch’ella ùn s’hè spenta
A fame
A fame di u to locu
A fame d’esse tù.
Bribes de mots
Cette terre
Ne s'arrête pas à la mer
J'en connais
Qui l'ont en eux
Blessure non refermée
Brûlure ignée
Que toute l'eau salée
Ne peut apaiser
Derrière la vitre
La vitre du destin
Nous nous tenons
Avec notre vie empêchée
Et nous regardons
Ce que nous pourrions être
Si se brisait cette vitre
Sous nos mains
Enfin restituées
Ton pain
Tu as dû aller ailleurs
Le manger
Pain à la sueur
En des lieux étrangers
Mais comment se fait-il
Qu'elle ne soit rassasiée
Ta faim
Faim de ta terre
Faim d'être toi
Traduction de Hélène Bonerandi
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Rédigé par angèlepaoli le 03 janvier 2005 à 12:09 dans Poésie insulaire (anthologie) | Lien permanent | Commentaires (2) | TrackBack
23 décembre 2004
Mosaïques en écailles (Forêt d'Aitone)
Mosaïques en écailles
mille-feuilles ligneux
brisures des courbes
téguments et membranes
incrustations d’écorces
jambage effilé d’une aiguille de pin
posée là par les hasards du vent
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Texte©angelepaoli
Rédigé par angèlepaoli le 23 décembre 2004 à 18:05 dans Poésie insulaire (anthologie), Zibal-donna (zibaldone et miscellanées d'Angèle) » index | Lien permanent | Commentaires (0)
21 décembre 2004
Marie-Ange Sebasti (petite anthologie poétique)
« J’avais saisi, comme un sourire qui meurt lentement, comme une joie qui s’en va sur la pointe des pieds, cette atmosphère d’un soir de là-bas dans sa fraîcheur et sa tendresse.
Je l’avais saisie, souveraine d’une heure (et un peu plus peut-être) mais souveraine, mais dominante.
Je l’avais saisie pour ne point l’oublier, mais comme une enfance. »
Paroles pour une île, Promotion et Edition, Paris, 1967, p. 11.
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Champ Libre
« Effondrement de tous les détails
Dans un grand bruit de clauses disloquées
Un cliquetis de virgules
Une pluie de futurs antérieurs
Celui qui cherchait les fenêtres
A tout brûlé de ses bougies impatientes
Pompiers, restez dans vos casernes
Fin d’une maison étroite
Sous la poussée d’un cœur géant »
Déroulement
« Des heures au plafond
dans l’essoufflement des pensées
à l’orée des tabagies
des heures légèrement
sur la montée des eaux dormantes
montgolfière sans lassitude
lestée de tous les soupçons
des heures dangereusement
écume avec la dernière vague des rumeurs
des heures tendrement
sur le sofa des derniers mots
au bureau des messageries
Dans la guérite du veilleur
des journées sans crier gare »
Personne
« Chaque matin mes sosies
je vous enrichis de subtils cadeaux
et je vous envoie à vos vies
différentes
Chaque soir mes sosies
vous m’apportez vos bornes
vos barbelés, vos mimes, votre boue
quand vous n’aviez qu’à contrôler le ciel »
Le goût de l’eau
« Vérifie tes tonneaux, arrondis
tes jarres
nettoie le puits et les fontaines
Remplis les bacs, les cruches et les aiguières
Réveille fiasques, gourdes et carafes
et tout autour dessine une frise d’amphores
Mais bientôt
Assure-toi le concours des mers
un bonheur n’arrive jamais sans soif »
Contours apparents, Collection Les poètes de Laudes, n° 12, cahier 95, septembre 1989.
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« Il écoute impassible un vent familier
glisser dans les fenouils
une langue étrangère
amadouer les ronces
Il écarte sans bruit les branches
et nous regarde dresser la liste
des objets de sa tombe »
Ougarit, la terre, le ciel, textes réunis par Marie-Ange Sebasti et Joël Vernet, La Part des Anges Éditions, 2004.
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« Ils arpentent longtemps
des terroirs généreux
qui les chargent d’amphores, de pierres précieuses
et du sommeil de vieilles divinités
ils atteignent parfois
des marges arides
qui les somment de révéler
des vies évaporées
[ …]
Ils posent leurs cahiers
et leurs tessons
fatigués d’avoir réveillé
les terres brûlées
Ils ont trouvé le puits et le palmier »
« Les marges arides (extrait) » in Friches, Cahier de Poésie Verte, n° 85, trimestriel, hiver 2004, pp. 5-6.
CORRÉLATS
Pour en savoir plus sur Marie-Ange Sebasti, voir le Portrait que j'ai rédigé sur ce blog.
Voir aussi sur le blog Poezibao (en date du 23 décembre 2004), un autre poème de Marie-Ange Sebasti, extrait du recueil Presque une ïle.
Voir encore (sur ce blog) une autre petite anthologie poétique de Marie-Paule Lavezzi, originaire de Sartène, tout comme Marie-Ange Sebasti.
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Rédigé par angèlepaoli le 21 décembre 2004 à 23:03 dans Poésie insulaire (anthologie) | Lien permanent | Commentaires (1)
18 décembre 2004
Les brodeuses
(j’emprunte ce poème à Marie-Pool qui vient de me le faire parvenir en commentaire).
« Dominant les forêts
traversant les rivières
l'été aux yeux de raisin mûr
marche vers nous dans le soleil
Jarres d'huile murées
dans le silence de midi
les femmes écoutent battre un coeur
qu'elles ont caché dans cette terre
Jadis elles débusquaient l'été
se baignaient nues dans la rivière
bêtes et flammes les suivaient
et le vent frémissait
dans les sentiers
sous leur regard
Et sous leurs doigts les soies s'emmêlent
capturant sources et rumeurs
destinant cette fièvre
née du feuillage et des couleurs »
Marie-Paule Lavezzi, Le Chant des brodeuses, CRDP de Corse, 1988, page 10.
Voir aussi une petite anthologie poétique de Marie-Paule Lavezzi.
Voir encore les poèmes d'une autre brodeuse corse : Marie-Ange Sebasti.
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Rédigé par angèlepaoli le 18 décembre 2004 à 16:41 dans Kallistè, ma terre de mémoire, Poésie insulaire (anthologie), Ritratti di donne (portraits de femmes) | Lien permanent | Commentaires (0)
« Le châtaignier, cet ancêtre ! »
Bogues et castagnes. Ph.©angelepaoli
« Les châtaigneraies de la Corse ! Il faut voir leur moutonnement de verdure monter du fond des vallées à l’assaut des montagnes ! Elles en ascensionnent les pentes, en escaladent les hauteurs, cernent la crête, descendent dans le torrent et ne s’arrêtent à la zone déjà froide où commencent les hêtres, que pour dévaler précipitamment dans le creux des gorges et des ravins où leur rondeur feuillue ondoie comme une mer…Dans leur ombre fraîche sourdent et jasent des sources ; l’eau froide et bleue, fille des neiges éternelles, court entre leurs troncs crevassés et chenus. Elles se rencontrent à mi-flanc de la montagne ; attirées l’une vers l’autre, la source descend des hauteurs, la châtaigneraie monte de la vallée, et de leur rencontre naît le village corse… »
Jean Lorrain, « Sous les châtaigniers », Heures de Corse, Rumeur des Ages, 1999, pages 47-48.
Voir aussi sur le site Canzone Passione l’intégralité des paroles du Lamentu di u castagnu (La complainte du châtaignier), un chant composé par Paoli di Tagliu. Dans le livret de ses enregistrements (ancienne Phonothèque Nationale), l’ethnomusicologue Felix Quelici dit que cette complainte est en fait originaire de Guagno, puisqu’elle a été transférée à Taglio.
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Rédigé par angèlepaoli le 18 décembre 2004 à 11:54 dans Poésie insulaire (anthologie) | Lien permanent | Commentaires (1)
13 décembre 2004
Une petite vieille en noir
« Un grand eucalyptus gardait une petite vieille en noir, et moi qui passais sur la route, dans une voiture à grande allure, j’avais eu le temps de voir son visage, ses yeux profonds et rieurs, son nez aquilin, sa peau fripée ; j’avais eu le temps de voir son fichu mal noué et sa jupe trop longue sur des bas trop épais.
Elle regardait la route peut-être ou plutôt la mer, de l’autre côté de la route. Venait-elle du cimetière ? Je ne saurais l’affirmer. En tout cas, après avoir dépassé les lauriers roses, elle était là, sous un grand eucalyptus de jardin qui donnait de l’ombre à la route, et moi qui passais dans une voiture à grande allure, j’avais eu le temps de l’apercevoir. »
Marie-Ange Sebasti, Paroles pour une île, Promotion et Edition, Paris, 1967, p. 29.
Voir aussi :
- une petite anthologie poétique de Marie-Ange Sebasti.
- une autre petite anthologie de Marie-Paule Lavezzi, originaire de Sartène, tout comme Marie-Ange Sebasti.
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Rédigé par angèlepaoli le 13 décembre 2004 à 21:39 dans Poésie insulaire (anthologie) | Lien permanent | Commentaires (0)
12 décembre 2004
Marie-Paule Lavezzi (petite anthologie poétique)
(J’emprunte à mes amies lyonnaises Marie-Pool et Marie-Ange Sebasti cette petite anthologie de poèmes de Marie-Paule Lavezzi, poèmes qu’elle m’a fait parvenir par ailleurs en commentaires sur ce blog).
Marie-Paule Lavezzi, originaire de Sartène, est née le 25 décembre 1945 à Marseille. Elle est professeur de lettres classiques à Ajaccio.
« Marie-Paule Lavezzi, avec méthode, affirme sa présence au monde. Romantisme et tradition repoussent la rêverie hors des "yeux que rien n'apaise". Seule la nature peut tranquilliser avec sa palette toutefois réduite. Il apparaît chez ce poète épris de sentiments un besoin de certitude et de lumière (« Nos yeux déchirent le soleil ») où guette l'abstraction docile » (Marie-Paule Lavezzi selon Marie-Ange Sebasti).
« Les lèvres des dormeurs bougent avec la mer
Et de hautes fenêtres reflètent vents et songes
Quand le secret du rire délivrera les pierres
Les paupières s'ouvriront une nouvelle fois »
Poe-Sie, La nouvelle poésie française : présence du sacré, N° 83-84. Bimestriel - janvier-février 1981, pages 77 et 82.
« Quand les blés à forte crinière
arrivent couverts de parfums
en piétinant la terre
des femmes murmurent
d'étranges secrets
et leur alliance est un mystère
Est-ce leur ombre ou leur regard
qui donne un sens à la rumeur
naissant des arbres et des fontaines
Car leurs yeux savent que nous mourrons
et sous la flamme solitaire
l'été qui grandit
fait onduler fables et lumières »
Marie-Paule Lavezzi, Le Chant des brodeuses, CRDP de la Corse, Ajaccio, 1988, page 52.
Pouvoirs
« L'été sort de la mer
le soleil sur le poing
Ganté de sève il suit
les œillets enchaînés
à la roue du sommeil
D'obscures chansons
dans la rivière
pardonnent tout
au voyageur »
Eloignement
« Nos ombres ont traversé
le château du brouillard
Voyageurs fatigués
nous regardons nos âmes
sous les lampions du bal
La transparence est un mystère »
Passage
« L'été arrive
et sa lumière
blesse l'eau vive
qui se cabre et s'abat sur les pierres
J'ai pris congé de la jeunesse »
Souffle
« J'ai vu venir vers moi
diverses destinées
mais j'ai suivi mon rêve
qui tombait comme le soleil
de l'autre côté de la mer
En moi se bousculent
les ombres à venir
Des forces nouvelles
agitent la flamme
et disparaissent dans le noir »
Marie-Paule Lavezzi, Le Soleil sur le poing / 40 poèmes 1985-1994, Editions San Benedetto, Ajaccio, 1995, pp. 10, 23, 36, 46.
« Je sais que trop de buis
obscurcissent les fleurs
et le coeur de ces femmes
se figeant lentement
dans l'épaisseur de la lumière
Les créneaux du feuillage
envahis par les heures
chuchotent un langage
qui se défait dans le sommeil
Ulysse vit-il encore
et l'olivier de ses ancêtres
invite-t-il les hommes
à se tenir loin de la mer »
Marie-Paule Lavezzi, Le Livre ouvert, La Marge édition, Ajaccio, 2003.
Sous réserve d'inventaire complémentaire, les publications de Marie-Paule Lavezzi sont les suivantes :
Source des regards, Chambelland, 1974.
Les Yeux du vent, Temps parallèle, 1979.
Le Chant des brodeuses, CRDP de la Corse, 1988.
Le Soleil sur le poing /40 poèmes 1985-1994, Editions San Benedetto, Ajaccio, 1995.
Monologues, La Marge édition, Ajaccio, 2000.
Le Livre ouvert, La Marge édition, Ajaccio, 2003.
Des poèmes de Marie-Paule Lavezzi ont également été publiés dans les revues Sud, Création, Le Journal des poètes.
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Rédigé par angèlepaoli le 12 décembre 2004 à 17:07 dans Poésie insulaire (anthologie) | Lien permanent | Commentaires (0)