« Déjà Proust, rêvant à ce qu’il aimerait faire dès la fin de la Grande Guerre, s’imaginait en possession d’un palais vénitien, "comme Réjane", où il eût fait venir le quatuor Poulet, pour lui jouer du Fauré "tandis que l’aube se lèverait sur le Grand Canal" », comme le rappelle avec une ironie (mordante ?) Paul Morand dans
(Gallimard, L’Imaginaire, p. 167).
Bon, tant pis, je prends ce risque. Nostalgie. « Reverrai-je un jour la Giudecca ou les lumières qui l’environnent ou Ca’ Foscari ou Ca’ Giustiniani ou les bâteaux amarrés au large des Zattere », ainsi que l’écrivait Pound dans une partie manuscrite non publiée de ses
Cantos pisans :
«
There, in the forest of marble,
The stone trees - out of water -
the arbours of stone -
marble leaf, over leaf,
silver, steel over steel,
silver beaks rising and crossing,
prow set against prow,
stone, ply over ply,
the gilt beams flare of an evening
[...]
And the waters richer than glass,
Bronze gold, the blaze over the silver,
Dye-pots in the torch-light,
The flash of wave under prows,
And the silver beaks rising and crossing.
Stone trees, white and rose-white in the darkness,
Cypress there by the towers,
Drift under hulls in the night.
'In the gloom the gold
Gathers the light about it. »
« Là dans la forêt de marbre,
les arbres de pierre – issus de l’eau –
les charmilles de pierre –
feuille de marbre sur feuille,
argent, acier sur acier,
becs d’argent entrecroisés,
proue collée à proue,
pierre, pli sur pli,
les poutres dorées s’embrasent d’un soir
[…]
Et les eaux plus riches que le verre,
Or bronze flamboyant contre argent,
Pots à peinture à la lueur des torches,
Eclair de la vague sous les proues,
et les becs d’argent se croisent et s’entrecroisent.
Arbres de pierre, blanc et blanc-rose dans les ténèbres,
Cyprès là près des tours,
Dérive sous les coques dans la nuit.
Dans l’obscurité l’or
Attire toute la lumière sous lui. »
Ezra Pound, Canto XVII, Cantos, traduction de Philippe Mikriammos, Flammarion, 1986.
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Note : ce Canto XVII a aussi fait partie de la célèbre anthologie de Yeats, publiée à Oxford en 1936 : Oxford Book of Modern Verse, 1892-1935.