Chroniques de femmes - EDITO

Image, G.AdC
ET J’ENTENDS SIFFLER LE TRAIN
Il ne m’arrive pas souvent de m’exprimer sur les revues qui arrivent jusqu’à moi. Pourtant, aujourd’hui, j’ai décidé de le faire à propos de l’une d’entre elles qui m’est parvenue ces derniers jours par l’entremise d’une amie. Il s’agit du n° 4 du Frisson esthétique, dont la rédactrice en chef est Esther Flon. Une revue qui bénéficie du soutien du Centre régional des Lettres de Basse-Normandie et du Conseil général de la Manche.
La couverture, un couché brillant (qui contraste cependant avec le papier bouffant de la revue elle-même), aurait dû être doublement prometteuse. Ne serait-ce qu’en raison du double postulat du titre : frisson et esthétique. Pour ce qui est du frisson, je me suis sentie, dès le premier abord, plus proche de celui de l’épouvante que de celui de l’esthétique annoncée. L’artiste présenté en première de couverture, clone de Mister Jekyll et de Mister Hyde, est en proie, je le comprends par la suite en lisant sous-titre et citations, au « syndrome d’Elpenor ».
Allons, courage, il ne faut pas s’arrêter aux apparences. Vois comme la revue est ambitieuse ! En attestent les registres de prédilection affichés dans l’en-tête de couverture : Littérature-Arts-Gourmandises ! Mais aussi la thématique séduisante : « Dans le train ». Je frissonne et palpite avec délice, les papilles en éveil, le pouls aux aguets. J’attends avec impatience de monter à bord d’un « tchoutchoufard » crachotant, du Transsibérien ou de l’Orient-Express de mes rêves, des tortillards de la Cordillère des Andes, ou mieux encore du Trinichellu cahotant de mon île. Et j’espère me trouver transformée - un peu - à l’issue du voyage poétique qui s’offre à moi.
Quelle naïveté ! Non seulement la revue est brouillonne, mal fagotée, indigeste, mais elle est inesthétique, sans être pour autant trash. La titraille est désordonnée, la mise en pages confuse, l’iconographie ordinaire. Le papier glacé de la couverture a bien du mal à camoufler l’indigence éditoriale du projet.
Je m’interroge, je poursuis assidûment ma quête. En lectrice bornée de Gérard Genette, je me nourris du paratexte de la revue et me jette sur l’ours. Qui donc a bien pu participer à l’élaboration de ce numéro de printemps ? Madame Arlette Albert-Birot, responsable du Marché de la poésie, et Gabrielle Althen, professeur émérite de littérature comparée à l’Université de Paris X-Nanterre. Suit un imposant cortège de poètes, rangés deux par deux. La plupart me sont familiers. Parmi les plus célèbres, Michel Butor et Bernard Noël, Fabio Scotto et Jude Stefan. Marc Delouze (concepteur des Parvis poétiques et du Printemps des poètes), Ariane Dreyfus et Nimrod, Abdellatif Laâbi, Jacques Izoard et… l’incontournable Valérie Rouzeau ! Moi qui croyais, dans ma naïveté, que les revues littéraires avaient pour mission première de promouvoir des auteurs inconnus !
Il me faut donc me résigner ! Le monde de la poésie est bien un petit monde à la Don Camillo ! Avec ses acteurs, toujours les mêmes, peu ou prou, qui conduisent la ronde des revues et des rencontres, ravis sans doute de se reconnaître et de se congratuler entre pairs.
Très mauvaise adepte du Pennac « sans peine », je poursuis donc mon aventure, toujours dans l’attente du fameux « frisson ». Et je lis cette citation de Hubert Haddad, auteur du papier intitulé « Le syndrome d’Elpenor » : « Le frisson du départ devient éternel dès qu’un poème s’insinue ». Avec le nombre et la diversité de poèmes que propose ce beau numéro de printemps, je me convaincs que je vais peut-être trouver enfin de quoi, sinon transformer le monde, du moins changer un instant ma vie. Tant pis pour l’éternité !
Je plonge tête première dans les textes, et lis fébrilement mais consciencieusement les poèmes. Une longue et triste litanie de mots s’insinue en moi, qui déroule son inanité insonore au rythme somnolent du rail. La poésie du rail ? Quel ennui ! Et je sens au fil des heures que je sombre dans la médiocrité d’une écriture de convention, qui sent son bon de commande ! Une vaste (et saine ?) colère m’envahit qui risque de déraper si je n’y prends garde ! Fort heureusement, l’humour de Nimrod me tire de ce mauvais pas et me déride provisoirement. Je me réchauffe à la « Chaleur de la neige » de Fabio Scotto. L’économie triste d’Antoine Émaz convient à ma nostalgie. Quelques autres encore échappent à ma vindicte. Mais de frisson, néant ! Remy de Gourmont ne se laisse pas aisément appréhender ! Et il ne suffit pas de s’en réclamer et de le citer en exergue pour qu’advienne, si petit soit-il, le miracle du « frisson esthétique » !
« Des sourires, des larmes, des émotions, des rêves, des extases, des battements de cœur, tout ce qui fait du bien et du mal aussi, tout ce qui rend heureux, tout ce qui fait sentir la vie »*, tel est le « frisson esthétique » que j’attendais avec ferveur et qui fait, hélas, cruellement défaut ici !
Allons, ma bonne amie, courage. « Beaucoup à travailler » *. Voilà tout.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
* Remy de Gourmont, Lettres intimes à l’Amazone, Mercure de France, 1927, pp. 29, 23.
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