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RENCONTRE AVEC MARTINE CIEUTAT
Le mois d’août au village a été une pépite de surprises. Cette année, avec le retour dans le Cap Corse de Joseph le Syrien et de sa fratrie ― Martine son épouse, Jacqueline, sa sœur florentine, Blandine et Alain, son beau-frère et sa belle-sœur ― il s’en est fallu de peu pour que le Bar des Amis du village de Canari se transforme en tente touareg.
Le Bar des Amis, un bivouac de rencontres. Rencontres nocturnes, animées et chantantes, avec lampions et flonflons. Et espace privilégié d'un long dialogue avec Martine. Martine ? Martine Cieutat, une très ancienne connaissance et une amie dont la première rencontre remonte à un séjour en Algérie lors des vacances de Pâques 1980. Autour d’une chorba. Depuis, je ne l’avais qu’entrevue, même si elle faisait partie de mon paysage intérieur. J’avais pourtant eu l’occasion, à plusieurs reprises, de deviser avec Joseph, le beau Damascène au regard bleu et aux cheveux d’argent. Joseph, oui, mais pas Martine.

Ph. angèlepaoli
Passions
Le Bar des Amis. Une terrasse idéale pour découvrir en aparté la belle personnalité émouvante de Martine. Diplômée des Arts appliqués, Martine la talentueuse est une artiste. Elle travaille toutes sortes de matériaux. Sa passion véritable ? Le textile. Tous les textiles. Une passion quasi charnelle, sans cesse en éveil, dans laquelle l’artiste excelle.
À Damas où elle vit depuis quinze ans, Martine réalise avec les artisans de la ville ― sérigraphistes et souffleurs de verre, brodeuses et couturières ― une œuvre originale composée de vêtements et de tentures, de figurines et de murs brodés. Murs brodés ? Un projet ambitieux et noble qui allie broderie sur pierre et broderie sur photographie. Et se conjugue avec le travail de Sophie Berthier, archéologue chargée de la restauration de la citadelle de Damas, et de ses murs, classée sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.

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Les « Byzantines »
Marseille, septembre 2006, Martine Cieutat participe à une exposition collective réalisée à l’Espaceculture, sous l’égide de l’association Fil d’Ocre. Une exposition reprise pour partie à Ceillac (dans le Queyras) en août 2007. L’exposition marseillaise des « Byzantines » comportait quarante-neuf figurines d'une hauteur de 80 cm, toutes différentes les unes des autres, vêtues à la manière des villageoises syriennes, présentées devant des tentures (bâches de deux mètres de haut en toile plastifiée imprimées et brodées). Habillées par l’artiste à partir de modèles de collections, montées sur des socles de bois ornementés de motifs, les figurines sont accompagnées d’une phrase « kakemono » qui caractérise chacune d’entre elles. Les visages, inspirés des mosaïques de Ravenne, sont peints a tempera à la manière des icônes byzantines. Ils étonnent par leurs yeux en amande, grand ouverts sur les mystères de la vie.
Dix des quarante-neuf tentures et figurines créées par Martine Cieutat sont aujourd’hui exposées au musée de Damas. Une manière pour Martine Cieutat de poursuivre l’hommage rendu aux femmes aimées qui ont marqué sa vie.
Projets et réalisations
Après la série des murs, Martine envisage un retour aux vêtements. Un travail sur batiks qu’elle compte conduire avec Hélène Jospe, son amie de toujours. Un autre projet, très ambitieux, la lie à Rachid Koraïchi, calligraphe et peintre algérien : une exposition d’étendards soufis destinée au MoMA de New York.
Absorbée par son travail personnel de création, Martine Cieutat n’en oublie pas pour autant les combats qui lui tiennent à cœur. La réhabilitation de l’artisanat syrien ― travail de la soie et du verre, secrets de peinture et d’impression, fabrication de bijoux…― et la remise à flot des ateliers damascènes en voie de disparition. Mais aussi l’implication des femmes dans ce renouveau artisanal. Pour parvenir à ses fins, Martine Cieutat a fait appel à une ONG, seul moyen de canaliser les énergies. Et de permettre aux femmes de se réaliser pleinement tout au long de la fabrication d’une œuvre.
Vingt années de travail acharné qui porte aujourd’hui ses fruits. Et allie dans un bel équilibre tradition et modernité. Originalité et générosité.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli