Pier Paolo Pasolini
Image, G.AdC
A NA FRUTA
«
Lontàn, cu la to pièl
sblanciada da li rosis,
i ti sos una rosa
ch’a vif e a no fevela.
Ma quant che drenti al sen
ti nassarà na vòus
ti puartaràs sidina
encia tu la me cròus.
Sidina tal sulisu
dal solàr, ta li s-cialis,
ta la ciera dal ort,
tal pulvin da li stalis…
Sidina ta la ciasa
cu li peràulis strentis
tal cour romai pierdút
par un troi di silensi. »
POUR UNE PETITE FILLE
« Lointaine avec ta peau
Blanchie par les roses,
Tu es une rose qui vit et ne parle point.
Lorsqu’au fond de ta poitrine
Te naîtra une voix,
Muette, toi aussi,
Tu porteras ma croix.
Muette sur le dallage du grenier, sur les marches,
Sur la terre du potager,
Dans la poussière des étables…
Muette au foyer,
Avec des mots serrés
Dans ton cœur, désormais
Perdu dans un sentier de silence. »
Pier Paolo Pasolini, La Nouvelle Jeunesse, Poèmes à Casarsa (1941-1943) in Poèmes frioulans (1941-1974), Gallimard, Collection Du monde entier, 2003, p. 37. Traduction du frioulan par Philippe Di Meo.
LA NUOVA GIOVENTÙ
Le recueil original,
La Nuova Gioventù, La Nouvelle Jeunesse, publié en Italie quelques mois avant l’assassinat de Pasolini, constitue en ce sens un testament poétique. Boudé par la critique qui n’a pas pris la mesure de la foncière originalité poétique du recueil, celui-ci a été complètement passé sous silence à l’époque de sa parution. Recueil où Pasolini, déchiré et désabusé, fait le constat de la « brisure de l'œuf orphique » :
« L’éternel retour prend fin : l’humanité a pris la tangente. De nouveaux « démons » patronnent ce phénomène, et je crois encore, stupidement, à une révolution des pauvres. Le Livre demeure, mais la Parole s’en est allée. C’est le pire saint Paul qui avait raison et non l’Ecclésiaste. Le monde est une grande Eglise grise où il importe peu que les Devoirs soient imposés par l’Hédonè plutôt que par l’Agapè. Le futur tout entier n’est que la codification du développement par le compromis historique. »
Pier Paolo Pasolini, Quatrième de couverture du recueil (première édition italienne, 1975).
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Né en 1922 à Bologne,
Pier Paolo Pasolini passe une grande partie de sa jeunesse dans le Frioul (Casarsa) qu’il doit quitter en janvier 1950 à la suite d’un scandale sexuel. Pier Paolo s’installe alors à Rome avec sa mère et, de 1955 à 1961, se consacre surtout à l'écriture et publie deux romans (
Ragazzi di vita [1955] et
Una vita violente [1959]) qui lui valent une série de procès. En 1960, il signe son premier film,
Accatone. Dès lors, il mène en parallèle une double activité de poète et de cinéaste iconoclaste, puisant sa « vitalité désespérée » dans le déchaînement même de la société italienne à son égard. Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, il est assassiné sur la plage d'Ostie par un jeune prostitué de dix-sept ans (version officielle aujourd'hui remise en question).
Nombreux et exceptionnels extraits d'archives sonores et vidéos sur le site
pasolini de la Cinémathèque de Bologne, dont Pasolini lisant
Caro ragazzo, la dernière séquence du film
Medea [7 min 57], avec Maria Callas dans le rôle de Médée. Ou encore un sublime
extrait vidéo [parfois inaccessible, mais la
vidéo [en très mauvais état] et la
bande-son ont été reprises sur YouTube] du film de Vanni Ronsisvalle tourné pour la RAI,
Une heure avec Ezra Pound (1968) où Pier Paolo interviewe
Ezra Pound et lit l’un de ses poèmes (Canto LXXX). Film que j’ai pu voir dans sa version intégrale (70 min) à la Cinémathèque française le dimanche 2 mars 2003, à l'occasion d’une rétrospective Pasolini
(Une vitalité désespérée).

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