Il y a quarante-six ans, le 3 mars 1966, avait lieu la création par Roger Planchon de
Bérénice de
Racine pour le Théâtre de la Cité de Villeurbanne.

Image, G.AdC
« Un soupir, un regard, un mot de votre bouche,
Voilà l’ambition d’un cœur comme le mien. »
(Racine, Bérénice, vers 576-577)
La Voix
Bérénice, Bérénice ! Quel drame cruel, ô princesse mortelle, se cache sous ton nom ? Drame de l’amour déçu et fui qui en déchire les syllabes tendres et douces ? Quel désordre inédit est venu contrarier ton amour, toi qui aimas Titus et l’aimas sans partage ? Toi dont l’unique « ambition » résidait dans l’amour ? Au point extrême d’y renoncer pour jamais !
Princesse, qui es-tu ? Et quel est ton secret ?
Bérénice
Hélas ! Mon drame est lié à celui de mon peuple et mon nom à jamais lié à son histoire. Moi, Bérénice, princesse d’Orient, la Judée est mon royaume. Je suis fille d’Agrippa et ma lignée remonte à Hérode le Grand, de sinistre mémoire. Ma ville est Césarée, qui tient son nom des empereurs romains. Césarée de Philippe tout au nord du royaume. C’est là que j’ai grandi, en Palestine. Au milieu des troubles qui secouent ma province. Juifs et Romains s’entredéchirent. Je suis juive et ma famille a pris le parti de l’Empire. Néron a mandé le général Vespasien pour rétablir l’ordre sur notre sol. Et c’est à Césarée que j’ai rencontré Titus, venu accompagner son père dans sa difficile mission. De là vient tout mon bien mais aussi mon malheur. Titus parut hélas, et mon cœur aussitôt à sa vue défaillit. Titus me vit et mes charmes aussitôt pénétrèrent son cœur. Une même passion nous enflamma l’un l’autre et nul de lui ou de moi n’aurait su dire lequel aima l’autre le premier. Nous nous aimions et toujours de Titus je suivais tous les pas. Titus rejoignit Rome, m’emmena avec lui. Je quittai mon pays, le suivant dans le sien.
La Voix
Où est le mal alors ? Et où se cache-t-il ?
Bérénice
Le malheur est arrivé, brutal, la veille même de nos noces. La mort frappa aux portes de l’empire. Vespasien, qui venait de monter sur le trône encore chaud de Néron, mourut à son tour. Les funérailles firent place aux noces. Et Titus aussitôt après acclamé sur le trône. Sans partage, hélas !
Rome me refusa. Vespasien mort, le Sénat rejeta la princesse étrangère. Je crus que de Titus, je trouverais l’appui. Qu’en signant notre hymen, Titus me hausserait au rang d’impératrice. Mais le jeune empereur, assujetti aux lois de la Rome impériale, sans cesse se démit de son amour pour moi. Mes pleurs, face au pouvoir, n’étaient que peu de choses et Titus, indécis, sans cesse au lendemain remettait d’avouer que l’empire à ses yeux l’emportait pour toujours sur ses vœux amoureux. Comment l’aurais-je cru, hélas, lui dont les tendres plaintes, hier encore exhalaient des mots doux ?
Il fallut me résoudre et renoncer à lui. Je l’aimais, je le fuis. Il ne me retint pas.
La Voix
Est-ce là, princesse, toute ton histoire ?
Bérénice
Oui, presque. C’est une histoire simple, réduite à peu de chose. Juste quelques éclats de faisceaux et de flammes et juste quelques pleurs.
La Voix
Quoi encore ? N’y avait-il point quelque autre amant attaché à tes pas ?
Bérénice
Oui. Il est vrai. Un autre homme, encore, était attaché à mes pas. Antiochus, roi de Comagène. Il m’aimait en silence, souffrant de mille maux. Antiochus attendait, fidèle à ses voeux. Espérant chaque jour que la froideur de Titus me gagnerait à sa faveur. C’est à lui que je confiais les ultimes ardeurs que m’arrachait encore le nouvel empereur. Il reçut sans fléchir, mes plaintes et mes pleurs. Et mes adieux aussi.
La Voix
Voilà de Bérénice toute la triste histoire.
En 1670, à la demande d’Henriette d’Angleterre, le poète Racine, favori de la reine, en conçut une nouvelle pièce. Cinq actes tout entiers occupés à la peinture de la passion, exacerbée par le drame de la rupture. Il en résulta une longue élégie dialoguée, empreinte de tristesse majestueuse, qui fit couler les larmes de la cour.
C’était le 21 novembre 1670. À l’Hôtel de Bourgogne. Quelques jours plus tard, le 28 novembre 1670, la troupe du Palais-Royal présentait Tite et Bérénice de Pierre Corneille. Une cabale s’ensuivit. Qui ne fut qu’un feu de paille. La faveur était acquise à Racine et la « tendresse » de Bérénice continua longtemps de l’emporter.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli